Les paroles

Hervé Passamar

Le TGV 8815 va partir.
Ce TGV desservira
Beaune,
Chalon sur Saône
Mâcon Ville
Lyon Part Dieu

Madame, Monsieur, autres, divers genres,
Gare, gare, Voie L le train 1234
A destination de Marseille va partir.
Il desservira les gares de
Lacanau
Vertheuil,
Bordeaux Saint-Jean
Belin-Béliet,
La Rochelle
Douchy les mines
Epaux Bézu
Saint-Quay- Portrieux
Bourg en Bresse
Charleville Mézières
Mulhouse
Mâcon
Dunkerque
Saint Malo
Uzeste
Sète
Le Boulou
Majastres
Mézel
Digne les Bains
Gardanne
l’Estaque ville
l’Estaque plage
Prenez garde à la fermeture des portes
Attention au départ

Madame, Monsieur, autres, divers genres
Madame, Monsieur, autres, divers genres
Madame, Monsieur…
Autres
Madame, Monsieur,
Autres

Ici gare, Ici gare, je répète
D’autres trains partiront
Beaucoup de voies s’offrent à vous
Vous êtes à la croisée
Choisissez la bonne
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K,
Les détours, ça va un moment
Décidez vous maintenant
Il est encore temps
Mais prenez garde tout de même
A la fermeture des portes
Gare, gare
A la clôture automatique
Au repli définitif
Aux faux espoirs
Aux mauvais départs
Et aux voies sans issues

Je m’égare encore
J’erre, je flâne
Contenance obligée, désemparé sur le quai
Passager sans destin
Il faut pourtant trouver sa voie
Gare, je cligne les yeux

Je cligne les yeux pour lire des panneaux
Sans comprendre d’où l’on part
Vers des destinations que nous ne savons choisir
Je saute sur mes pieds, je m’approche des lettres
En vain

Alors j’entends la voix
« Madame, Monsieur, autres, divers genres »
Ah, c’est pour moi, c’est à moi que tu parles
Une adresse qui me va comme un gant
Pour une fois

Mais je suis heureuse, heureux,
Autrement heureuse, diversement heureux
Tu égrènes voies, villes
D’inimaginables circuits
De prodigieux itinéraires

… Uzeste, Sète, Calvi
Le Boulou, Majastres, l’Estaque ville
l’Estaque plage…

Levez les yeux vers la voute, regardez le ciel qui se dessine entre les
poutrelles d’acier. La voie lactée !
La voie lactée ? Pourquoi pas la lune tant qu’on y est
Allez, un petit croissant, pour la route
On promet toujours la lune aux égarés…

Voie L, voie L
Nous sommes des pantins à roulettes
Grrrrr, Grrrrrrr, Vrrrrrr
Ça sonne, aucun doute
On tient le tempo
Grrrrr, Grrrrrrr, Vrrrrrr
Ça groove, on groove grave
Voie L, voie L
Tac tac tac Grrrrrr
Alors on accélère
Le quai nous appartient
Toutes les voies s’offrent à nous
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K….
En face ils font encore de grands gestes
Naufragés accrochés aux balises
Puis ils disparaissent lentement
Doucement aspirés par le ciment du sol
En une belle vague grise

Sans avoir eu le temps
De jeter un dernier regard vers la mer
Entre les poutrelles d’acier

Elle part encore la micheline ?
Elle part encore la micheline ?
Elle part ?
Encore ?
La micheline ?
Elle part encore la micheline ?
Elle part encore la micheline ?
Elle part ?
Encore ?
La micheline ?
La micheline ?
Elle part
Encore
La micheline

Elle parle encore
La micheline ?

C’est dingue
Pourquoi j’dis ça…

Madame, Monsieur, autres, divers genres
Plein gaz vers les vastes nébuleuses
Et les nuées ardentes
Contenances envolées
Convenances oubliées
Nous sommes rassurés
Tu l’affirmes
Tôt ou tard
D’autres trains partiront
Levez les yeux vers la voute
Regardez le ciel qui se dessine
Entre les poutrelles d’acier
La voie lactée
La voie lactée ?
Pourquoi pas la lune tant qu’on y est
Allez, un petit croissant, pour la route
On promet toujours la lune aux égarés
Nous continuons à errer comme des âmes en peine
Tu as raison, les détours ça va un moment
Décidez vous maintenant
Il est encore temps
Mais quand même
La mer de la tranquillité…
Beau point de chute pour des égarés
Eclipse garantie
Bonds et rebonds
Et entrechats faciles
Sur le dance floor de l’astre mort
Tu as raison
Les détours ça va un moment
Décidez vous maintenant
Il est encore temps
Madame, Monsieur, autres, divers genres
C’est parti…

On la voit !
Les cris fusent
Au milieu des grondement des roulettes
J’ai de la chance
Voie lactée, lune
Tout y est
C’est bien la L
Et mare tranquillitatis
Bien dessinée entre les poutrelles d’acier
Tu avais raison
Puis la voix reprends
Mais le reste est confus à cause des roulettes
J’ai du mal à comprendre
Brouhaha, brouhaha
Grrr, grrrr
Tac, tac, tac…
Nous sommes rassurés
Tu l’affirmes
Madame, Monsieur autres, divers genres
Voies A, B, C, D, E, f, G, H, I, J, K
Tôt ou tard
D’autres trains partiront
Beaucoup de voies s’offrent à vous
Pour partir, fuir, aller voir ailleurs,
S’évader un moment
Tout recommencer ou
Juste aller au bout de la ligne
Gare, gare
Un train peut en cacher un autre
Et au terminus, tout le monde descend
Mais beaucoup doutent encore
On promet si souvent la lune aux égarés

Gare, gare
Nous rappelons aux voyageurs
Que l’étiquetage des bagages est obligatoire
Entendez-vous ?
O-BLI-GA-TOIRE !
O-BLI-GA-TOIRE !
O-BLI-GA-TOIRE !
O-BLI-GA-TOIRE…
Obligatoire
Obligatoire
Obligatoire
Obligatoire
Obligatoire
Obligatoire…
C’est chouette…

Attention au départ
Attention,
voie L, voie L, voie L
Attention à ton départ
Ne plus entendre ta voix

Dérouté, de l’autre côté du quai
Attention à ne pas se perdre
A ne pas oublier ta voix
Ta voix, ta voix
Serrée, une dernière fois étreinte
Jusqu’à être étouffée
Sourde, puis éteinte
Sourde puis éteinte
Sourde puis éteinte

Egaré sur l’autre voie, obscure
Impénétrable et sans issue
Impénétrable et sans issue
Sans issue
Sans issue
Sans issue
Attention aux filets de voix, à l’extinction
Voix blanche, sans timbre et froide
Les voies sans filet, les voies d’eau
Attention à ne pas couler en entendant les sirènes
Attention à ne pas couler en entendant les sirènes

Les voix
Les voix de l’au-delà
Plutôt choisir les voix des hautes terres
Le grand souffle
Les voies carrossables et dégagées
Errer par monts et par vaux
Par voies et chemins
Là où les voies sont libres
Parfois cabossées, tourmentées
Et étroites
Mais toujours libres

Je dois encore donner de la voix
Me faire entendre
Surtout ne pas rester sans voix

M’offrir des espaces
Des voies lactées
Douces et sucrées

C’est bon pour ma voix
Je dois encore me faire entendre

On est nombreux au bord du quai
Cornes de brumes et vagues à l’âme
Moi non plus j`voudrais pas couler
Quand les sirènes donnent de la voix
Madame, Monsieur
Belle voix, posée et sûre
Mais restons sur nos gardes
Pas question de me laisser compter fleurette
Rouler dans la farine
Comme un poisson mort sorti des filets
Des filets de voix de l’eau delà
Surtout ne pas rouler sous la vague grise
Finir en queue de poisson
A cause des voix d’eau
Me fracasser sur les écueils
Me faire écailler dans les étals
J’harangue les autres, errants au bout du quai

Moi non plus j`voudrais pas couler
Quand les sirènes donnent de la voix
Moi non plus, j’voudrais pas couler
Quand les sirènes donnent de la voix
Moi non plus, j’voudrais pas couler
Je veux me faire entendre
Certains crient pour te recouvrir
Nous aussi on a voie au chapitre
Nos voix comptent, chaque voix compte paraît t’il
Je m’interroge, commet ne pas la perdre
La placer quelque part, la poser où il faut ?

On est nombreux au bord du quai
Cornes de brumes et vagues à l’âme
Suspendus à tes mots
On est nombreux
Suspendus à tes mots
Pendus aux poutrelles d’acier, accrochés au mat
Oreilles bien cirées
Bouchées pour la reine des sirènes
Afin de ne pas succomber à ses chants
Moi non plus j’voudrais pas couler
Emporté dans tes filets de voix
Moi non plus j’voudrais pas couler
Emporté dans tes filets de voix

Alors je crie pour qu’on m’entende
Qu’on nous sorte de l’au delà
Pour recouvrir le chant de sirènes
Echapper aux chants du cygne
Aux champs magnétiques
Cornes de brume et vagues à l’âme
On est nombreux au bord du quai

A moins que tu me donnes ta voix
Sans risque, moi j’voudrais pas couler
Alors ne pas t’entendre, sauvé
Mais pouvoir t’écouter, bouche bée
Sans voix, motus et bouche cousue
Juste les voix rassurantes du silence

Mais moi j’veux bien qu’on se la coule
Doucement dans l’eau verte du quai
Qu’on s’offre des espaces profonds
J’harangue les autres, errants au bout du quai
Il est de bon thon d’appareiller
Sans risque, moi j’voulais pas couler
Emporté dans tes filets de voix

Ici gare, je répète
Prenez garde à la fermeture des portes
Attention au départ

Alors on accélère
On pousse les feux
Suspendus à ta voix qui égrène les villes
Lacanau
Vertheuil
Bordeaux Saint-Jean
Belin-Beliet
La Rochelle
Douchy les Mines
Epaux-Bézu
Saint Quay Portrieux
Charleville Mézières

Rêvant de ces itinéraires
Que nous seront les premiers à emprunter
D’extravagants chemins
Auxquels nous croyons dur comme fer
On s’éclipse, suspendus à cette mer tranquille
La seule pour laquelle il faille lever la tête
Une mer verticale encerclée de métal
Qu’on prends le temps de regarder
Une dernière fois entre les poutrelles
La mer bleu acier
C’est le final de la symphonie en sol
Pour valises à roulettes
Notre ultime mouvement sur ce quai
Alors nous fonçons, déterminés
Essaim bruyant qui brusquement s’arrête
Avant de s’incliner pour un dernier salut

Au début tout vous paraitra sombre
Immobile
Par les vitres même en frottant de la main
Vous ne verrez presque rien
Puis, passés les tunnels et les ponts
Peu à peu des teintes dorées et lumineuses
Vont vous enrober, répétitives, douces
Et vous pourrez dormir
Le train foncera dans une vapeur bleutée
Il percera la brume qui, à l’arrière
Dessinera de jolies volutes désordonnées
Aspirant dans son sillage les rêveries des voyageurs somnolents

Mais vous avez encore un peu de temps
Inutile de courir, soyez tranquilles
Levez une dernière fois les yeux vers la voute
Regardez le ciel entre les poutrelles d’acier
La voie lactée
Et avant de monter, écoutez le final
De la symphonie en sol pour valises à roulettes
Allegro

Toutes les voies s’offrent à nous
Nous sommes des pantins à roulettes
Des voyageurs sans destin
Sans providence ni fortune
Qu’importe, on s’éclipse
Suspendus à cette mer tranquille
La voie est toute trouvée
Villégiature radicale pour prendre ses quartiers d’hiver
Gravité disparue, atmosphère vaporeuse
Mélancolie poussiéreuse
Sautillements légers, bonds et rebonds
Et quelques entrechats faciles
Sur les dance floor silencieux de l’astre mort
Ça marche comme sur des roulettes
Je vais trouver la martingale
Tordre le hasard, inverser les chances
M’éclipser vite fait
Gagner les faces cachées, les cratères oubliés
Rouler sous les vagues bleu acier de la voute
Plein gaz vers les vastes nébuleuses et les nuées ardentes
Contenance envolée, convenance oubliée
J’ai trouvé la bonne voie
La chance sourit parfois aux égarés

C’est parti

Ici gare, ici gare
Mesdames, messieurs, autres, divers genre
Le TGV numéro 6720 à destination de Marseille va partir
Il desservira les gares de Calvi, Epaux bezu, Uzeste, Pont de l’Etoile
Prenez garde à la fermeture automatique des portes
Attention au départ
Attention au départ

Ici gare, ici gare
Mesdames, messieurs, autres, divers genre
Le TGV numéro 6720 à destination de Marseille va partir
Il desservira les gares de Calvi, Epaux bezu, Uzeste, Pont de l’Etoile
Prenez garde à la fermeture automatique des portes
Attention au départ
Attention au départ